Truites végétariennes Made in France

Nourrir de végétaux des espèces carnivores pour atténuer la surexploitation des océans : 

 l’expérience menée dans le Finistère est prometteuse. 

En témoigne l’éclosion de sa troisième génération de poissons sélectionnés sur leurs gènes.

Richard Le Boucher est chercheur en génétique employé par 

le Syndicat des sélectionneurs avicoles et aquacoles français (Sysaaf). 

Il est l'auteur d'une thèse intitulée 

"Génétique de l'utilisation des aliments d'origine végétale chez la truite arc-en-ciel et le bar européen".



Dans leur bassin circulaire, tranquilles, les truites arc-en-ciel tournent en rond. Logique. Puis Lionel Goardon, responsable de l’élevage de cette station piscicole expérimentale à Sizun, dans le Finistère, déverse de petites croquettes alimentaires. Les truites se ruent dessus, faisant bouillonner la surface. Logique aussi ? Non. Car ces croquettes sont 100% végétales. Et la truite est carnivore, friande d’insectes et de larves.
Sourire aux lèvres, Laurent Labbé, directeur de cette station de l’Institut national de recherche agronomique (Inra), et Richard Le Boucher, jeune chercheur employé par le Syndicat des sélectionneurs avicoles et aquacoles français (Sysaaf), contemplent leur œuvre. Dans le bassin nage la troisième génération de truites sélectionnées pour ne se nourrir que d’aliments végétaux. Une expérience pionnière, publiée par une revue scientifique internationale (1).
Lionel Goardon prend une poignée de cet aliment contre-nature dans un sac. De tout petits cubes de couleur vert clair. Les portant à son nez, comme le visiteur, il demande : «Vous sentez ?» Oui, cela sent le végétal. Maïs, colza, soja. A côté, un sac propose un aliment classique, fortement dosé en farine et en huile de poisson. Et dont l’odeur ne laisse aucun doute sur son origine.
Pêcher du poisson pour nourrir du poisson, cela semble une bonne idée. Surtout si cette pêche dite minotière prélève des espèces de faible valeur commerciale (chinchard, sardines, anchois). En outre, explique Françoise Médale, nutritionniste ès poissons à l’Inra, les poissons adorent «la farine de poisson, la meilleure source d’aliment en raison de sa teneur en protéines et de son profil en acides aminés».

La moitié de la pêche minotière est destinée aux productions aquacoles. Ces dernières représentent près de 30 millions de tonnes de poissons (2) - 2 millions en 1970 -, contre 80 millions provenant des pêches. Mais «depuis dix ans, les prises de la pêche minotière stagnent», souligne Françoise Médale, autour de 18 millions de tonnes. Comme pour de nombreux poissons nobles (thons rouges, soles, cabillauds), l’océan subit une surexploitation et ne peut plus répondre à la demande.
Le nombre d’hommes va croître, jusqu’à 9 milliards d’ici à 2050. Comment les nourrir avec l’aquaculture, puisque la source océanique de protéines qui l’alimente a trouvé ses limites ? Les éleveurs ont certes végétalisé en partie leurs aliments, tout en cherchant à obtenir des poissons de même qualité nutritionnelle. Mais la croissance de la demande et la volonté de diminuer la pression sur les écosystèmes marins exigent d’aller plus loin.



Artistes de la reproduction manuellement assistée

Un programme de recherche, Vegeaqua (3), vise à augmenter encore la part végétale destinée aux truites, bars et daurades. Il est porté par Stanislas Laureau, patron d’une écloserie marine à Gravelines (Pas-de-Calais). Cette implication résulte de l’apport des scientifiques à la qualité des écloseries françaises, qui exportent œufs et alevins dans toute l’Europe.
Pourquoi ne pas changer complètement de piste et disposer de poissons totalement végétariens ? s’est demandé il y a quatre ans l’équipe scientifique, dont des nutritionnistes, comme Françoise Médale, ou des généticiens, comme Marc Vandeputte, Mathilde Dupont-Nivet et Edwige Quillet (Inra). La truite, a priori moins rétive à un changement de paradigme digestif, s’imposait comme poisson pionnier. Richard Le Boucher en a fait sa thèse de biologie. Mission : transformer une population de truites d’élevage en végétariennes pures et dures.
L’histoire commence dans ce bassin de la station de Sizun où nage avec vigueur une «population synthétique», explique Richard Le Boucher. Elle provient de nombreuses souches et présente une grande variabilité génétique, facteur de robustesse indispensable.
De cette population, les chercheurs ont tiré 15 000 alevins, moitié mâles, moitié femelles. Dès leur sortie des jolis œufs orange dans les bacs remplis à l’eau de source de la station, ils n’ont été nourris que d’aliments végétaux. Puis, au fur et à mesure de la croissance des alevins, qui transitaient dans des bassins de plus en plus grands où coule l’eau du barrage du Drennec, les sélectionneurs ont opéré quatre tris, choisissant les plus grandes truites. Sélection radicale puisque, «à la fin du processus d’un an et demi, il ne restait que 4% des 15 000 poissons», précise Le Boucher. Sans attendre, des dégustations sont organisées. «Souvent, affirme Laurent Labbé, les goûteurs ne savent pas les distinguer à l’aveugle d’un poisson nourri classiquement. Et certains préfèrent ceux nourris aux végétaux !»
Sur cette population d’adeptes du végétal, 30 femelles et 30 mâles ont été choisis pour produire la deuxième génération. Ils ont bénéficié d’une reproduction dirigée, de manière à combiner leur caractère de dévoreur de végétal à la presque totalité de la variabilité génétique d’origine, nécessaire pour garder la robustesse de la souche.
C’est là que les artistes de la reproduction manuellement assistée interviennent. Lionel Goardon raconte comment ils savent identifier, «au toucher et à l’œil», les individus prêts à pondre ou relarguer leur semence, en échange de quelques caresses ventrales. Puis, ils répartissent les gamètes dans des petits verres en plastique, afin de croiser chaque mère avec chaque père. «C’est le côté cuisine», s’amuse-t-il.
Le peu de mortalité des alevins tout juste éclos, auxquels ne sont proposées que de minuscules boulettes végétales, semble curieux chez ces carnivores. Françoise Médale avance une hypothèse : «Il s’agit probablement de comportements de survie en milieu naturel, lorsque les proies font défaut.»
Derrière ces comportements se trouve la génétique, puisque Richard Le Boucher a démontré que ce caractère était héritable. Il dépend des gènes, et non seulement de la taille du gamète femelle. Découvrir et étudier ces gènes révélera pourquoi et comment ces poissons sont devenus végétariens. Au-delà de l’histoire génétique de la truite, cette connaissance sera utilisée dans l’amélioration des sélections, voire de la composition des aliments. Ce qui suppose de connaître la généalogie de chaque poisson.

«Un progrès de la survie»

L’une des astuces de l’expérience fut de s’affranchir de la nécessité d’élever chaque famille en bac séparé. Lorsqu’un poisson atteint  10 grammes, il se voit inoculer «une minuscule puce dans la chair. Lisible à distance par radio, elle permettra l’identification. Des prélèvements et analyses d’ADN sur les parents, puis sur les poissons étudiés, nous révèlent les pères et mères de chaque individu et nous permettent de traquer les gènes en action.» La connaissance des généalogies permet déjà de suivre l’évolution des caractères sur trois générations. Dès la deuxième, note Richard Le Boucher, «il y a un progrès de la survie aux premières semaines et du poids lors de l’abattage».
Cette expérience pionnière va-t-elle se traduire par des poissons d’élevage totalement végétariens, ouvrant la voie à une augmentation considérable de la production mondiale ? Possible, répond Stanislas Laureau, patron de l’écloserie de Graveline. Mais sans faire disparaître farine et huile de poisson, qui pourraient devenir une sorte d’aliment de finition. Un peu comme l’affinage des fines de claires pour les huîtres.
(1) R. Le Boucher et al, «Plos One», septembre 2012. (2) 50 millions avec les mollusques (huîtres, moules) et les crustacés. (3) L’écloserie de Gravelines, les aquaculteurs bretons, la ferme marine du Douhet et les poissons du soleil, le Sysaaf, l’Ifremer et l’Inra.

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