Brouillon de lettre à un jeune amant

Sois le plus doux de tous les amants qui l’ont renversée. 
Ne pense plus à toi quand tu vas plonger dans son regard mi-clos de rescapée.
 Ne te crois pas vainqueur quand tu verras ses yeux passer de la Mer du Nord au myosotis ou du charbon à la braise, du languide au sauvage, du tendre au luxurieux. 
Pense à elle comme à ce violon qui appréhende la brûlure de la pointe aux âmes quand le luthier risque de lui griffer le cœur malgré ses soins. 
Ne lui laisse surtout pas deviner tes tourments d’avant concert et ta solitude d’après. 
Tu prendrais le risque de faner les accords qui fleurissent en son secret.



Quand elle sera rassurée, blottie sous ton menton, tu pourras laisser tes mains légères apprendre la sculpture des galbes et tenter les premiers accords.
Comme l’âme du violon, la sienne reste habitée par l’immense amour 
dans le plus intime duquel elle a été taillée. 
Elle t’a laissé l’approcher. Mais songe qu’il lui a fallu penser ivresse et vaste ciel, 
afin d’entrouvrir l’étui capitonné de la pudeur.


Laisse-lui tourner à sa guise les pages fragiles de la partition. 
Les frissons de ses hanches sont le souvenir indompté de la fièvre 
qui faisait vibrer la vie sous l’écorce. 
Il n’est plus temps pour toi d’en apprendre la danse; 
essaye de suivre simplement le chemin laissé par la sève dans ses méandres capricieux.


Quand toutes les essences mêlées auront vibré dans une harmonie sublime, 
que la touche aura retrouvé l’ébène et l’éclisse l’érable de Bohème, 
laisse-toi ravir en fermant les yeux si tu en as envie et écoute ses soupirs.

Écoute les bien ces notes de l’âme ; ce sont elles qui te diront si tu as su préserver 
tes chances de sarabandes à venir.





Lu sur mediapart.fr

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