Lettre d'un homosexuel catholique à son évêque


Je publie ici la très belle lettre ouverte de Jérôme Musseau, "homosexuel et catholique", adressée au cardinal André Vingt-Trois.

Ce courrier me semble révélateur du déchirement que peuvent éprouver tous ceux qui, comme l'écrit Jérôme Musseau, sont à la fois "catholique et homosexuel".

"Irrémédiablement l’un et indéfectiblement l’autre, sans y pouvoir, pour l’un comme pour l’autre, grand-chose."


 Citation anonyme

Personne ne connaît la liberté jusqu'à ce qu'il cesse de s’opposer aux autres. 
La seule chose qui vous lie c’est votre opposition à ce qui est indésirable.
 Et donc, si une religion pouvait être simplement enthousiaste de ce qu'elle est, 
ou si une personne au sein d'une religion pouvait seulement parler avec satisfaction de ce qu'elle est, 
sans justifier ce qu'elle est en s’opposant à tout le reste, 
alors chaque religion, avec toute sa différence, 
pourrait être exactement ce que vous en attendez.




Monseigneur,
Vous avez demandé aux catholiques de France de ne pas se taire sur la loi qui se prépare à
propos du mariage pour tous, d’oser investir le champ public et de ne pas se laisser intimider par
une vision trop stricte de la laïcité. Vous les avez même encouragés à interpeler leurs
représentants politiques, à écrire à leur député. Cela m’amène à vous écrire la présente lettre.

Reprenant à mon compte vos recommandations, je vous adresse la réflexion que suscitent en moi
les débats autour de cette question et la tournure qu’ils prennent dans la communauté catholique,
à la veille d’une manifestation que vous avez largement encouragée. Je vous écris comme à mon
évêque, quoi de plus naturel pour un laïc impliqué dans sa foi et investi avec les croyants.
Car je suis catholique. Et aussi homosexuel. Catholique et homosexuel. Irrémédiablement l’un et
indéfectiblement l’autre, sans y pouvoir, pour l’un comme pour l’autre, grand chose. Je ne me
définis ni par l’un ni par l’autre, qui sont à mettre sur des plans totalement distincts, et pourtant en
affichant l’un et l’autre ces temps-ci, je me trouve à une drôle de place. Jugez-en plutôt et tentez,
si vous le pouvez, de vous y installer un court moment, pour sentir le tiraillement que je sens entre
des camps qui se tirent dessus à vue, au milieu de ce qui ressemblera bientôt à un champ de
ruines, où la question de l’humain, qui est en cause, sert en fait de dépouille expiatoire.
Catholique, je le suis avant tout par ma famille, mes parents qui m’ont transmis une foi exigeante
et enracinée. J’ai confirmé mon baptême et j’ai grandi en fréquentant assidûment l'aumônerie
publique à Versailles, qui m’a donné le sens de la liberté et de la responsabilité. J’ai passé 9 ans
dans un service d’Eglise, la Délégation Catholique pour la Coopération, où j’ai goûté, par les
rencontres et le travail, à la puissance de l’Évangile quand il est mis en acte au service du Peuple
de Dieu répandu sur la Terre. Aujourd’hui membre d’une communauté ecclésiale de base depuis 5
ans et militant au sein de la Conférence Catholique des Baptisés Francophones, je me sens
pleinement membre de l’Église.
Homosexuel, oui vraiment je peux le dire aujourd’hui. Après des combats intérieurs, des luttes
pour s’affirmer à la fois différent et semblable, parvenir à être cela et autre chose aussi, pour soi et
pour les autres. À près de 40 ans, je peux l’afficher sans crainte et avec tranquillité, je peux le vivre
sans adhérer au folklore des représentations sociales ni au cortège de promesses lugubres qui
émaillent cette vie réputée hors-normes: Méfiance, honte, angoisse d’être rejeté, renoncements.
C’est qu’il en faut du temps pour devenir soi-même, digne de la condition humaine. Je suis en
couple depuis 5 ans, pacsé et j’aspire à avoir des enfants et même à leur transmettre des valeurs.
Monseigneur, je m’adresse à vous car je suis triste. Que des débats de société amènent à des
combats âpres, voire violents, je le conçois et me dis qu'après tout c’est le jeu de la démocratie.
Mais de voir les catholiques qui s’expriment se ranger avec une unanimité de petits soldats sous la
bannière de la défense de la famille et de l’humanité, d’entendre tous les jours les responsables
ecclésiaux jouer aux politiciens du Parti de Dieu, de supporter les voix criardes des plus
extrémistes manier l’anathème, l’insulte et la haine, sans que jamais une seule voix autorisée
fasse un rappel à l’ordre explicite, cela me désole et me ravage l’âme. Mon âme de catholique qui
pensait n’avoir comme exigence que celle de la vérité ultime, toujours devant nous, insaisissable.
Mon âme d’homosexuel, qui a la drôle d’impression d’endosser tout ce qui semble ne pas aller
dans ce bas-monde. Vous avez parlé de débat. Vous n’avez cessé d’invoquer la nécessité d’un
débat. Avez-vous vu beaucoup d’endroits où l’on ait vraiment débattu dans l’Église, parmi les
catholiques? Et comment le faire avec des gens qui, bien souvent, remâchent les mêmes
arguments en boucle sans jamais chercher à en interroger le bien-fondé, sans même songer à se
laisser bousculer dans de fausses évidences? S’il est difficile de débattre de sujets qui touchent
aux ressorts mêmes de ce qui nous fait humains en société, il est douloureux de le faire avec des
chrétiens pour qui la Parole de Dieu n’est plus qu’une machine de guerre au service d'une idée
fixe
Enfin quoi, Monseigneur, vous pensez réellement que la possibilité offerte à deux hommes ou à
deux femmes d’accéder à la conjugalité légale, pour qu’ils puissent se porter assistance mutuelle,
se faciliter la vie de couple et se projeter dans l'avenir, pouvoir partir à l’étranger ensemble,
sécuriser la situation d’enfants déjà nés et s’inscrire sur une liste d’attente de plusieurs années
pour adopter, vous pensez donc réellement, en votre âme et conscience, que cette possibilité qui
sera saisie par quelques dizaines de milliers de couple au plus puisse faire vaciller les fondements
de notre société? Je vous tiens pour un homme intelligent et je gage que vous ne le croyez pas
véritablement. Vous avez l’habitude de semer des catastrophes sans jamais prendre la peine d’en
faire la récolte. Vous jugiez le Pacs «inutile et dangereux» il y a 13 ans, vous le trouvez aujourd’hui
idéal. Vous trouviez les homosexuels infantiles, vous les trouvez à présent plus que respectables
(pour autant qu’ils ne soient pas militants). Vous prédisez des effets négatifs sur la société et les
familles, sans jamais évoquer les pays où la mesure a été adoptée. Par ailleurs, vous vous dites
préoccupé par les brouillage des genres, les innovations dans la filiation, le désordre symbolique.
Eh bien de cela discutons! Il vous faudra supporter la contradiction et accepter l’idée que cela
fasse controverses dans les champs des sciences humaines concernées. Il me semble en outre
que ce sont des thèmes qui sont déjà mobilisés par des dispositions légales antérieures, qui
accompagnent des évolutions sociétales, mais sans voir un rapport simple et direct avec la loi qui
doit être votée. Vous semblez faire comme si cette loi créait des problèmes alors qu‘elle est faite
pour en résoudre. Ces inconséquences ne sont pas d’un homme de bonne foi.
Aussi, je me demande si vous êtes dans cette histoire le Pasteur qui rappelle la Loi, ou si vous
faites seulement de la politique. Non pas dans le champ national, mais auprès de Rome, parce
que le Vatican n’a pas trouvé d’autre remède à la sécularisation des sociétés occidentales que de
se rabattre sur une Église de «purs». J’avoue que j’envie parfois votre belle assurance pour nous
dire les desseins de Dieu. Moi, j’ai opté pour le Christ, qui accompagne nos doutes, et nous
permet de nous relever de nos échecs et de nos hontes, pour arriver à mieux vivre ensemble, ce
Christ qui ne nous laisse pas tranquille, car Il nous demande d’aller toujours plus avant, et de Le
précéder sur l’autre rive, celle du monde. Je reste à jamais un impur, mêlé au péché, compromis
avec mes frères et mes soeurs humains, devant puiser à la source de Celui qui nous aime
inconditionnellement. Peut-être que, baptisés dans la même Église, Monseigneur, nous ne
partageons tout simplement pas la même foi? Je préférerai quant à moi toujours le Très-Bas au
Très-Haut, et ne comprendrai jamais le Père que par le Fils incarné dans le monde. Puisse l’Esprit
qui souffle rassembler bientôt la famille des croyants et la famille humaine dans une fraternité qui
cherche à relever les défis des temps qui changent sans utiliser des boucs-émissaires. Cela, du
moins, nous rapprocherait tous du Royaume.
Dimanche, Monseigneur, pendant la manifestation, en regardant sur les écrans les centaines de
milliers de personnes qui défileront dans Paris, portant des slogans aussi consensuels que sans
rapport avec la loi, je me demanderai pourquoi l’Église, qui a toléré en son corps un antisémitisme
foncier pendant 2000 ans, se jette avec autant de légèreté dans une homophobie d’autant plus
subtile qu’elle se pare de masques, d'autant plus redoutable qu’elle se cache à elle-même. En me
souvenant de Léopold Sédar Senghor, je tenterai de voir dans cette foule des frères et des soeurs
qui se trompent de colère.
Dimanche, Monseigneur, je prierai aussi pour les quelques milliers d’enfants et d'adolescents qui
sont homosexuels et qui ne le savent pas encore, qui défileront dans les rues, emmenés par leurs
parents, sûrs de les garder avec eux dans une forme familiale traditionnelle qui doit faire leur
bonheur, en les faisant pour une après-midi les objets des désirs des adultes. Je prierai pour eux,
en souhaitant qu’ils trouvent un chemin de libération et de bonheur, quelle que soit l’issue des
débats en cours, quelle que soit leur famille.
En union de prière,
Jérôme Musseau
Paris 19ème
Publié dans OUEST-FRANCE le 11 janvier 2013

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