Café philo : a propos du Hollandisme : notre monde change-t-il ?



France's President Hollande addresses a news conference at the Elysee Palace in Paris
Le grand Karl disait à propos du 18 Brumaire de Napoléon III que « les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas de plein gré, dans des circonstances librement choisies ; celles-ci, ils les trouvent au contraire toutes faites, données, héritage du passé ». La leçon marxienne a été bien comprise par nos contemporains, bien qu’on en oublie souvent la paternité, et la dépolitisation de nos sociétés en est ainsi la marque profonde.
J’ai songé à cette belle phrase de Marx lors de la conférence de presse de François Hollande quand ce dernier a révélé devant le parterre de journalistes, je le cite, que « le monde changeait ». J’ai d’abord souri devant ce constat dont l’originalité ne méritait peut-être pas une telle conférence, avant de comprendre que révélation, il y avait peut-être dans ce propos. Car nous étions passés en un an du slogan « Le changement, c’est maintenant » au constat « le monde change ».


La différence, c’est qu’en mai dernier, le slogan signifiait que les Français, sous l’impulsion du premier d’entre eux, allaient changer leur histoire : derrière la formule, résonnait en réalité « Notre changement (celui que nousavons choisi), c’est maintenant ». Les circonstances toutes faites, données, héritées, pour reprendre les mots de Marx, dont François Hollande n’est pas responsable, ont abattu ce « notre » auquel le clivage politique fait croire tous les cinq ans, pour le transformer en un « on » indéterminé, dont aucun bouc émissaire pourrait remplir l’espace. Car derrière ce monde qui change, ces circonstances héritées, il n’y a pas la main passée de Nicolas Sarkozy – l’honneur serait probablement trop grand – mais une main rusée qui est celle d’une histoire que l’on n’écrit pas nous-mêmes, quelle que soit la grandeur mythifiée de la France.
Partant, ce qui m’a frappé dans le discours présidentiel fut moins la nécessité affichée du changement que la nécessité de l’adaptation au changement du monde. Franz-Olivier Giesbert, dans les débats de la présidentielle de 2012, avec sa propension naturelle aux métaphores personnelles, avait traité le candidat Hollande de « planeur », surplombant les autres candidats, parce qu’il savait prendre avantage du moindre air qui l’entraînerait vers le haut, sans avoir besoin de moteur pour le propulser. Bref, ce que vantait FOG était précisément cette incroyable capacité d’adaptation de notre désormais président. Voici précisément une origine possible de la désaffection actuelle des Français pour François Hollande : celui-ci ne leur propose plus un changement que le moteur « France » propulserait, mais propose à la France de planer dans le vent de la mondialisation libérale, sans autre alternative possible, mais en perdant néanmoins le moins de plumes possibles. Il ne s’agit plus de notrechangement maintenant, mais de notre adaptation au changement du monde.
Les Français sont encore tout imprégnés d’une histoire dont ils seraient les sujets autonomes. Mais, pour reprendre la formule de Lacan, « les non-dupes èrent » (in Les noms du père). Observée avec suspicion, la politique n’est plus qu’un théâtre institutionnalisé, avec ses rebondissements tragiques, quelque fois comiques, souvent farcesques. C’est un miroir posé de telle sorte que s’y projette une certaine idée fantasmée de la politique, disparue si elle a déjà existé. Derrière ce miroir dont le tain est restauré à chaque échéance électorale, s’agitent des techniciens du new public management qui adaptent en temps réel chaque niveau institutionnel à un monde, qui, comme le dit François Hollande, change vite, très vite.
Élevé par son maître Delors dans l’idée d’une technocratie européenne bienveillante, François Hollande ne dessine pas une France qui n’est pas encore, mais qu’il ferait demain. Il sort une boite à outils, pour ajuster au jour le jour chaque boulon bousculé par les tressautements de l’actualité. On passe de l’art de la politique à la technique de la gestion. Il ne change pas, il s’adapte. Mais voilà que, tout à coup, ce ne sont plus de petits ajustements que nécessite l’adaptation, mais de grandes coupes dans la machine étatique, dans les collectivités territoriales, dans la sécurité sociale. Que peut le fragile théâtre de la politique pour cacher ce sacrifice gigantesque que la rationalité du fonctionnement des organisations exige des peuples ? Comment transformer cette nécessité technique en une volonté politique ?
Du dedans, l’exercice apparaît périlleux. Mais François Hollande semble y croire encore, car, s’il a compris qu’il ne pouvait porter son propre changement, il n’est pas dit pour autant que le monde ne viendra pas du dehors à notre rescousse. Sans que la France n’y soit pour grand chose, elle profitera peut-être de la levée des vents pour repartir. Le miracle viendra de l’extérieur, comme par la grâce d’une surnature dont notre sort dépend entièrement et dont la cinétique nous élèvera ou nous abaissera (lire à ce sujet le très beau livre de Peter Sloterdijk : La mobilisation infinie. Une critique de la cinétique politique).
Cette surnature qui évolue à son propre rythme, en toute autonomie, et qui n’est pourtant que l’agrégation de comportements individuels des Etats à l’échelle du globe, n’est autre que l’ordre mondial, de plus en plus autonome, sans qu’il soit pour autant un sujet identifié. Il est au contraire un grand vide que les Etats entretiennent malgré eux et qui rétroagit sur eux. Cet ordre global apportera bien la croissance un jour ou l’autre. Peut-être bientôt. Et alors, nous en profiterons mécaniquement. Il sera alors temps d’établir un lien de causalité entre le retour de la croissance et ce que le théâtre politique aura joué pendant l’interlude. Et la politique sera sauvée miraculeusement : le miroir n’aura pas été brisé.
François Hollande a une philosophie anti-catastrophiste, d’un optimisme bon teint, quasi-religieux : il croît à la surnature et aux cycles économiques. Plus on s’enfonce dans la crise, plus logiquement on s’approche du point catastrophique (au sens étymologique de renversement) où les courbes s’inverseront. Pour lui, il ne reste qu’à s’accrocher et nous accrocher d’ici-là.
Ainsi, la politique repose-t-elle aujourd’hui entièrement sur des extériorités (qui répondent souvent au mystérieux nom de « marchés ») qui ne dépendent plus d’elle. Elle obéit religieusement à une surnature d’un type spécifique et paradoxal, dont Marx voyait les prémices : en même temps que les hommes font l’histoire, des circonstances surnaturelles  extérieures à eux les orientent dans cette fabrique. Malgré l’enchaînement des pronoms à la première personne, François Hollande n‘y peut rien : le changement, c’est maintenant, mais ce n’est pas nous. La ligne, il n’y en a qu’une, ce n’est pas la sienne, c’est celle que les circonstances exigent. Je tiens à préciser pour terminer que cet éditorial n’est en rien partisan et que de façon contrefactuelle, il eut été possible de l’écrire en remplaçant François Hollande par Nicolas Sarkozy !
Alexis Feertchak
Elève à Sciences Po Paris en Master, licencié en philosophie de la Sorbonne (Université Paris 4), Alexis Feertchak a également étudié la philosophie au King's College de Londres. Créateur d'iPhilo, il écrit pour la revue de documentation politique "Après-Demain" et a été pigiste pour Philosophie 

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