Willy Barral : le corps de l'enfant est le langage de ses parents


Ce n’est pas l’un des moindres mérites de Willy Barral, formé qu’il a été à la double école de Françoise Dolto et de Pierre Solié (l’un des plus grands psychanalystes jungiens de France en son temps), que de s’avancer ainsi, aidé par les pertinentes questions d’Isabelle Yhuel, appuyé sur sa pratique et sur des années d’expérience, sur des terres encore trop peu explorées, loin des flons-flons ou des récupérations de la mode, mais avec une assurance gagée sur sa clinique et avec la modestie qui convient à celui qui essaie de débrouiller les labyrinthes de l’âme humaine.

Notre corps pense : immense révélation ! Ce n’est donc pas qu’une machine – même s’il l’est aussi. Mais nous portons toujours en nous cet « hôte inconnu » qui, finalement, en sait si souvent tellement plus que nous-même.


En bas de page une interview remarquable de Willy Barral décédé en mars 2013 d'un infarctus




En un temps où, si on laisse aller les choses, la psychanalyse, - c’est-à-dire la découverte, l’exploration, l’assomption du sujet, - n’en a plus que pour dix ou quinze ans à vivre sous les coups redoublés d’une neurobiologie triomphante et de théories comportementalistes qui voudraient se hisser du rang de pseudo-sciences à la dignité de sciences reconnues, il est bon que paraisse un livre comme celui-ci.

Un livre, d’abord, qui s’adresse au grand public, loin du jargon spécialisé où se réfugient tant de psys dans une langue à peu près incompréhensible à qui n’est pas initié, et qui démontre au tout-venant, avec des mots de tous les jours mais chargés d’émotion et de tout le poids d’une longue expérience, que la dimension proprement humaine de tous ceux qui souffrent – et de tous ceux qui soignent – est quelque chose de capital dans toute activité thérapeutique.

Un livre, ensuite, qui fait preuve d’humilité (au sens premier du latin : au niveau de l’humus, c’est-à-dire au niveau de la terre dont nous sommes tous issus un jour), un livre sans forfanterie, sans cette arrogance dont a fait si longtemps preuve la psychanalyse – et dont elle paie le prix aujourd’hui : témoignages, histoires de vie, Willy Barral n’est pas de ceux qui croient détenir la vérité et nous l’assènent sans ménagement sur le crâne, il cherche, il tâtonne parfois, et c’est avec un émerveillement qui est presque celui d’un enfant (au meilleur sens du terme), qu’il constate les miracles de la compréhension, du vrai dialogue instauré, de l’authentique souci de l’autre, de la théorie dès qu’elle touche à la réalité comme elle est. 


Et la théorie, comme toujours, ne se trouve jamais close ; elle est sans cesse en mouvement, elle prend en compte le réel dans tous ses aspects divers et mouvants. 
D’où l’intérêt passionné pour, et la mise en œuvre souvent si efficace par Willy Barral de deux approches qui ont, si l’on peut dire, révolutionné le champ de la psychologie dès qu’elle tente de s’aventurer dans les plus grandes profondeurs du psychisme.

En premier lieu, la mise à jour de ce que l’on appelle aujourd’hui le transgénérationnel, mot qui a fait fortune et qui a envahi le domaine des soins depuis la psycho-généalogie jusqu’auxconstellations familiales que l’on voit fleurir un peu partout de nos jours – autrement dit, de sa mise en place dans l’arbre des générations jusqu’à, parfois, l’utilisation de psychodrame qui n’ose pas dire son nom et repose sur des phénomènes de projection qui n’ont pas été travaillés. 
Or, Willy Barral est un homme sérieux. Le transgénérationnel (ces maux psychiques qui se transmettent d’âge en âge et infiltrent nos descendants parce que nous n’avons pas été en mesure de les résoudre), il va le puiser à sa source, autrement dit chez Anne Ancelin-Schutzenberger qui en a fait l’hypothèse avec toute la rigueur de sa formation initiale, mais aussi chez Françoise Dolto qui y trouve l’origine de phobies considérées jusque là comme « incurables », et dont elle fait ressortir qu’elles sont le résultat d’un trouble profond dans la relation psycho-affective entre l’enfant et sa mère – trouble en miroir à son tour de celui qu’aurait subi sa mère avec ses propres parents : et l’on peut, dans certains cas, remonter plusieurs tranches d’âge, avant de retrouver le problème initial …

A l’aurore de la psychanalyse, l’un de ses grands rebelles, à savoir Carl Gustav Jung, avait déjà bien repéré le problème, qui déclarait qu’il ne soignait d’enfant que si les grands parents étaient là. Et l’on connaît l’importance de la légende familiale selon laquelle son aïeul (de plus, du même prénom que lui !), aurait été un enfant adultérin de Goethe : il rapporte dans son autobiographie comment, d’une certaine façon, il a dû en régler le problème pour son propre compte – et ce n’est pas pour rien que ce même Goethe, avec le Royaume des mères du Second Faust, aura toujours été son mentor avoué, de même que c’est chez Goethe qu’il trouve en premier lieu l’idée de l’urbild, l’image primordiale qui deviendra ensuite son fameux archétype. D’ailleurs, faudrait-il oublier aussi que, dans une lettre à Henri Corbin, après le scandale suscité par son livre Réponse à Job, il se réclame de l’esprit du philosophe allemand des religions qu’était Schleiermacher, quand on sait qu’un des oncles de ce premier Carl Gustav avait précisément épousé la plus jeune sœur de ce penseur ?  
A la lumière du transgénérationnel, il y aurait ainsi toute une enquête passionnante à mener sur les « antécédents » des plus grands psychanalystes, sur leurs engrammes familiaux (il suffit de penser à ce que nous savons d’autre part de la « tribu » des Freud), sur ce que, pour reprendre le vocabulaire de Piera Aulagnier, on devrait nommer leurs pictogrammes – autrement dit cette première époque de l’enfance où le petit d’homme est à la fois lui-même et l’autre …
Mais le transgénérationnel nous mène à cette seconde notion sur laquelle s’assoit si fermement Willy Barral, ce que Françoise Dolto a dénommé l’image inconsciente du corps
Dans le corps ( !) de son livre, Willy Barral explique lumineusement comme cette image est « l’entre-deux des toutes premières relations psycho-affectives entre l’enfant et ses parents, unemémoire relationnelle archaïque en quelque sorte. »
Ce qui en revient à réhabiliter, contre toute notre tradition culturelle, philosophique, théologique et religieuse, le rôle et la fonction du corps dans notre vie. Loin de l’antique jeu de mots : soma sema tès psychès einsi. « Le corps est le tombeau de l’ange », Willy Barral nous montre que le corps pense, qu’il est bien plus que ce que nous croyons d’habitude – et que, pour reprendre une vieille formulation de Paracelse ou de notre alchimie occidentale, il existe une lumen naturae, une « lumière de la nature », et plus particulièrement une vérité de notre corps qui se manifeste dans notre activité psychique – et vice-versa. (Au fond nous ne sommes souvent pas très loin de ce que Patanjali nous dit dans les Yoga-sutras ; nous ne sommes pas très loin de la conception classique d’un corps subtil, dès qu’on a dégagé cette notion de tous les oripeaux fantasmatiques dont on l’a si souvent chargée.

Et ce n’est pas l’un des moindres mérites de Willy Barral, formé qu’il a été à la double école de Françoise Dolto et de Pierre Solié (l’un des plus grands psychanalystes jungiens de France en son temps), que de s’avancer ainsi, aidé par les pertinentes questions d’Isabelle Yhuel, appuyé sur sa pratique et sur des années d’expérience, sur des terres encore trop peu explorées, loin des flons-flons ou des récupérations de la mode, mais avec une assurance gagée sur sa clinique et avec la modestie qui convient à celui qui essaie de débrouiller les labyrinthes de l’âme humaine.

Notre corps pense : immense révélation ! Ce n’est donc pas qu’une machine – même s’il l’est aussi. Mais nous portons toujours en nous cet « hôte inconnu » qui, finalement, en sait si souvent tellement plus que nous-même. 

Un livre à lire absolument …
Michel Cazenave


RFI : 
Pour célébrer le centenaire de la naissance de Françoise Dolto, nous recevons le psychanalyste Willy Barral, l’une des voix les plus libres et les plus originales de la psychanalyse en France. 
Formé par Françoise Dolto, Willy Barral s’inspire à la fois des intuitions de Dolto sur l’image inconsciente du corps mais aussi de la psycho-généalogie pour nous montrer que le corps pense. 
Willy Barral est l’auteur de Françoise Dolto c’est la parole qui fait vivre  chez Gallimard Il vient de publier aux Editions Payot, Le corps de l’enfant est le langage de l’histoire de ses parents.

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