La pensée n’est-elle pas indispensable pour survivre en ce monde ?
par Eckhart Tolle
Votre mental est un outil, un instrument qui est là pour
servir à l’accomplissement d’une tâche précise. Une fois cette tâche effectuée,
vous déposez votre outil.
Je dirais ceci : telles que sont les choses, environ
quatre-vingt à quatre-vingt-dix pour cent de la pensée chez l’humain est non
seulement répétitive et inutile, mais aussi en grande partie nuisible en raison
de sa nature souvent négative et dysfonctionnelle. Il vous suffit d’observer
votre mental pour constater à quel point cela est vrai.
La pensée involontaire
et compulsive occasionne une sérieuse perte d’énergie vitale. Elle est en fait
une accoutumance. Et qu’est-ce qui caractérise une habitude ? Tout simplement
le fait que vous sentiez ne plus avoir la liberté d’arrêter. Elle semble plus
forte que vous. Elle vous procure également une fausse sensation de plaisir qui
se transforme invariablement en souffrance.
Pourquoi serions-nous des drogués de la pensée ?
Parce que vous êtes identifiés à elle et que cela veut dire
que vous tirez votre sens du moi à partir du contenu et de l’activité du
mental. Parce que vous croyez que si vous vous arrêtez de penser, vous cesserez
d’être. Quand vous grandissez, vous vous faites une image mentale de qui vous
êtes en fonction de votre conditionnement familial et culturel. On pourrait
appeler ce « moi fantôme », l’ego. Il se résume à l’activité mentale et ne peut
se perpétuer que par l’incessante pensée. Le terme « ego » signifie diverses
choses pour différentes gens, mais quand je l’utilise ici, il désigne le faux
moi créé par l’identification inconsciente au mental.
Aux yeux de l’ego, le moment présent n’existe quasiment pas,
car seuls le passé et le futur lui importent. Ce renversement total de la
vérité reflète bien à quel point le mental est dénaturé quand il fonctionne sur
le mode « ego ». Sa préoccupation est de toujours maintenir le passé en vie,
car sans lui qui seriez-vous ? Il se projette constamment dans le futur pour
assurer sa survie et pour y trouver une forme quelconque de relâchement et de
satisfaction. Il se dit : « Un jour, quand ceci ou cela se produira, je serai
bien, heureux, en paix. » Même quand l’ego semble se préoccuper du présent, ce
n’est pas le présent qu’il voit. Il le perçoit de façon totalement déformée,
car il le regarde à travers les yeux du passé. Ou bien il le réduit à un moyen
pour arriver à une fin, une fin qui n’existe jamais que dans le futur projeté
par lui. Observez votre mental et vous verrez qu’il fonctionne comme ça.
Le secret de la libération réside dans l’instant présent.
Mais vous ne pourrez pas vous y retrouver tant et aussi longtemps que vous
serez votre mental.
Je ne veux pas perdre ma capacité d’analyse et de
discernement. Je ne suis pas contre le fait d’apprendre à penser plus
clairement, de façon plus pénétrante, mais je ne veux pas perdre ma tête. Le
don de la pensée est la chose la plus précieuse que nous ayons. Sans elle, nous
ne serions qu’une autre espèce animale.
La prédominance de la pensée n’est rien d’autre qu’une étape
dans l’évolution de la conscience. Il nous faut passer à l’étape suivante de
toute urgence. Sinon, le mental nous anéantira, car il est devenu un véritable
monstre. Je reparlerai de ceci plus en détail un peu plus loin. Pensée et
conscience ne sont pas synonymes.
La pensée n’est qu’un petit aspect de la
conscience et elle ne peut exister sans elle. Par contre, la conscience n’a pas
besoin de la pensée.
Atteindre l’illumination signifie s’élever au-delà de la
pensée, ne pas retomber à un niveau situé en dessous de la pensée, soit celui
du règne végétal ou animal. Quand vous avez atteint ce degré d’éveil, vous
continuez à vous servir de votre pensée au besoin. La seule différence, c’est
que vous le faites de façon beaucoup plus efficace et pénétrante qu’avant. Vous
vous servez de votre mental principalement pour des questions d’ordre pratique.
Vous n’êtes plus sous l’emprise du dialogue intérieur involontaire, et une paix
profonde s’est installée. Lorsque vous employez le mental, en particulier quand
vous devez trouver une solution créative à quelque chose, vous oscillez toutes
les quelques minutes entre la pensée et le calme, entre le vide mental et le
mental. Le vide mental, c’est la conscience sans la pensée. C’est uniquement de
cette façon qu’il est possible de penser de manière créative parce que c’est
seulement ainsi que la pensée acquiert vraiment un pouvoir
. Lorsqu’elle n’est
plus reliée au très grand royaume de la conscience, la pensée seule devient
stérile, insensée, destructrice.
Essentiellement, le mental est une machine à survie. Attaque
et défense face à ses « congénères », collecte, entreposage et analyse de
l’information, voilà ce à quoi le mental excelle, mais il n’est pas du tout
créatif.
Tous les véritables artistes, qu’ils le sachent ou pas, créent à
partir d’un état de vide mental, d’une immobilité intérieure. Puis, c’est le
mental qui donne forme à l’impulsion ou à l’intuition créative. Même les plus
grands savants ont rapporté que leurs percées créatives s’étaient produites
dans des moments de quiétude mentale.
Une enquête effectuée à l’échelle
nationale auprès des plus éminents mathématiciens américains, Einstein y
compris, a donné des résultats surprenants. Questionnés au sujet de leurs
méthodes de travail, ils ont répondu que la pensée ne « jouait qu’un rôle
secondaire à l’étape brève et déterminante de l’acte créatif lui-même ». Je
dirais donc que la simple raison pour laquelle la majorité des scientifiques ne
sont pas des gens créatifs, c’est qu’ils ne savent pas s’arrêter de penser et
non pas qu’ils ne savent pas comment penser !
Ce n’est pas la pensée, le mental, qui est à l’origine du
miracle de la vie sur terre ou de votre corps. Et ce n’est pas cela non plus
qui les sustente. De toute évidence, il y a à l’oeuvre une intelligence qui est
bien plus grande que le mental. Comment une seule cellule humaine mesurant
1/2500 de centimètre de diamètre peut-elle contenir dans son ADN des
informations qui rempliraient un millier de livres de six cents pages chacun ?
Plus nous en apprenons au sujet du fonctionnement du corps, plus nous réalisons
le caractère grandiose de l’intelligence qui est à l’oeuvre en lui et la
petitesse de notre savoir. Lorsque le mental se remet en contact avec cette
réalité, il devient le plus merveilleux des outils et sert alors une cause bien
plus grande que lui.
Source: http://www.eckharttolle.fr/
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