Le chat guérisseur
...Un petit monsieur entre deux âges, ayant grimpé dans un arbre pour cueillir des cerises, un an
plus tôt, était tombé en brisant une branche qui lui avait ouvert la jambe
gauche.
Mal soignée, la plaie s’était infectée, et la gangrène s’y était mise.
Lorsqu’il avait fini par se rendre à l’hôpital, c’était trop tard : la seule
chance de le sauver était l’amputation. La veille du jour fixé par le
chirurgien, il était descendu dans la rue avec sa canne pour, une dernière
fois, « emmener promener sa jambe », disait-il avec cette douceur résignée des
gens simples face à l’irrémédiable.
C’est là qu’il croisa une dame inconnue qui sursauta, à sa
hauteur, sans s’arrêter. Machinalement, il tourna la tête après quelques
instants. Elle s’était figée sur le trottoir et le fixait, l’air en suspens,
aussi étonnée que lui. Semblant dominer une hésitation, un vrai trouble, elle
revint soudain vers lui.
- Pardon, monsieur, mais on me dit de vous demander une
chose. Vous avez un souci à la jambe, non ?
Il répondit par un pauvre sourire. Avec sa canne et sa guibole
gonflée sous le bandage, pas besoin d’être extralucide pour en arriver à cette
conclusion. Elle enchaîna :
- Vous avez un chat ? Parce que c’est à lui qu’il faut
demander. Excusez-moi.
Et elle tourna les talons en rougissant, avec autant de
précipitation que si on l’avait surprise en train d’écouter aux portes. Comme
si elle avait honte de ce qu’elle s’était entendue dire, précisa mon lecteur.
Il était resté un moment immobile sur le trottoir, sonné par
cette rencontre.
Il avait un chat, oui, mais qui était mort six mois
auparavant. Quel rapport, de toute manière ? Cette femme était dérangée, voilà
tout. Et il avait d’autres problèmes en tête.
Néanmoins, rentré chez lui, il ne parvint pas à chasser de
son esprit la dernière phrase de l’inconnue. Pourquoi ces mots, pourquoi cette
émotion qui lui nouait le ventre ? Il ne croyait pas à grand-chose, à l’époque,
surtout pas aux gens désintéressés. Ni à un au-delà quelconque. Dans le canapé
où il s’était affalé, il ne voyait vraiment pas quel genre de soutien il
pouvait attendre du siamois qu’il avait enterré dans son jardinet de banlieue.
Ses doigts rencontrèrent des poils sur les coussins de
velours. Tout ce qui restait de Mozart, son compagnon de treize années. Alors
il y eut en lui une espèce de sursaut. Qu’avait-il à perdre, après tout ?
Il
s’arracha du canapé, alla mettre un sac neuf dans son aspirateur, le passa sur
les coussins, puis retira le sac pour récupérer les poils. Avec un soin
dérisoire, il les étala sur la plaie de sa jambe, et il refit le pansement
tandis qu’il demandait de l’aide au siamois, s’abandonnant à ce dernier espoir
irraisonné.
Le lendemain matin, une odeur épouvantable le réveilla.
Bien
pire encore que celle que dégageaient d’habitude ses chairs en décomposition.
Il retira le bandage et jeta le cataplasme de poils félins où s’était concentré
la puanteur.
C’est alors qu’il découvrit, médusé, que sa peau avait changé de
couleur.
Les bords de la plaie semblaient rosir.
Arrivé à l’hôpital, il demanda qu’on réexamine sa jambe avant
de la couper. Il insista tant et si bien qu’il obtint gain de cause.
Le dossier
vert qu’il m’avait apporté ce jour-là rassemblait cent pages de rapports
médicaux, d’analyses, de témoignages de spécialistes confirmant, sur papier à
en-tête, les diagnostics avant et après ce que le patient appelait «
l’intervention de Mozart ».
Les praticiens étaient formels : la gangrène dûment
constatée avait « guéri » de manière inexplicable, et les chairs se reformaient
plus vite que de raison...
Lu sur Inress.com
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