Après la mort…
Marc Dupuis :
Chère lectrice, cher lecteur,
Néanmoins, je vais
essayer de donner quelques pistes. Et je vais partir malheureusement, de ma
propre expérience. Pardonnez-moi si ce que je vous dis ne s'applique pas à
votre cas.
Valérie et moi avons
perdu il y a six ans notre fille aînée Sandrine. Elle avait 12 ans. C'était une
enfant toujours joyeuse, bonne élève, sportive, musicienne et passionnée
d'origami (pliages japonais). Partout où elle allait, elle laissait sur son
passage des fleurs, oiseaux et animaux de toutes sortes en papier de couleur,
pour l'émerveillement des petits et des grands. Sa mort, la veille de ses
vacances d'été, fut une catastrophe pour ses amis, sa famille et, plus que
tout, pour nous.
Voici comment nous
avons décidé de vivre les jours et semaines qui ont suivi son décès.
Il était capital de ne pas nous laisser complètement
emporter par la douleur, ne serait-ce que parce que nous avions d'autres
enfants qui comptaient sur nous. Nous avions aussi toujours voulu être
réalistes et ne jamais oublier que mettre des enfants au monde, c'est forcément
accepter le risque de les perdre. On ne peut pas avoir l'un sans l'autre.
Alors voici ce que
nous avons fait, concrètement.
En voyant ma fille
chérie partie, j'ai compris que ma vie ne serait plus jamais la même. Il m'est
alors apparu nécessaire de marquer ce profond bouleversement par un changement
de tenue vestimentaire. Je me suis souvenu que les gens s'habillaient en noir autrefois
pour marquer le deuil, et j'ai donc mis un pull noir, un pantalon noir, des
chaussettes et des chaussures noires. Aussitôt, cette « nouvelle » tenue,
correspondant à ma « nouvelle » vie, m'a donné la liberté de vivre mon chagrin
intérieurement et extérieurement, et cette cohérence m'a donné de la force. Car
contrairement à ce qu'on peut imaginer, les habits de deuil n'augmentent pas le
chagrin, ils aident à dompter la douleur. Ils m'ont permis d'attendre avec
confiance et sans aucune impatience que le « travail de deuil » ait fait son
chemin, jusqu'au jour où je me suis senti à nouveau l'envie de ré-intégrer
symboliquement la société des hommes, en m'habillant comme eux. Mais pendant
environ un an, la douleur de cette perte m'a mis à part, je me suis tenu à
distance extérieurement en portant des habits de deuil, et cette distance m'a
protégé.
Peut-être vous
semble-t-il bizarre d'avoir commencé par cela mais il faut savoir qu'une fois
le décès constaté, il n'y a plus aucune urgence. Vous avez le temps de
réfléchir et de faire ce qui vous paraît nécessaire.
Dans notre cas, nous
avons mis dans notre salon une grande et belle photo de Sandrine, ornée d'un
beau bouquet. Pendant les premiers mois, nous sommes allés plusieurs fois
chaque semaine au cimetière à pied ou à vélo, en reprenant les chants et les
textes lus le jour de son enterrement, pour nous recueillir sur sa tombe. Cela
nous a permis de revivre ce moment si intense, et d'apprivoiser peu à peu les
sentiments qui nous avaient profondément bouleversés.
Après avoir laissé
s'écouler quelques mois, on passera de nombreuses heures à ranger, trier les
affaires de la personne disparue, et conserver précieusement, dans le cas d'un
enfant, ses premières lignes d'écriture, ses rédactions, ses lettres, ses plus
beaux dessins, ses maquettes, ses photos bien sûr, ainsi que tous les
témoignages envoyés par ses amis, ses professeurs, et les personnes qui l'ont
bien connu. Mais il n'y a aucune urgence, il faut entreprendre cela lorsqu'on
se sent prêt.
Cela ne veut pas dire
qu'il ne faut parler que de ça. On pourra bien sûr passer ensuite à d'autres
sujets, si on en a le temps. Mais arriver, passer toute la soirée à parler
d'autre chose, puis repartir en ayant à peine abordé la question centrale fera
certainement de la peine aux personnes en deuil, qui auront l'impression que
leur douleur n'est pas comprise ou prise en compte. Elles resteront avec le
sentiment que ce qui est si important à leurs yeux, et à leur cœur, est
inexistant pour les autres. Et c'est d'autant plus regrettable que ce sera
justement par délicatesse, et pour éviter de les blesser, que les visiteurs
auront évité de parler du sujet !!
Si le deuil ne
s'engage pas, les émotions douloureuses finiront toujours par ressurgir, avec
une violence inouïe, parfois même des années plus tard, à l'occasion d'un
événement d'apparence futile.
C'est pourquoi il
vaut mieux souffrir tout de suite, même si c'est terrible. La douleur que vous
ressentez prouve que vous réalisez vraiment ce qui vous arrive, et indique que,
inconsciemment, vous êtes en train d'intégrer émotionnellement la séparation
que vous subissez, ce qui va vous permettre de vous reconstruire.
Chère lectrice, cher lecteur,
Suite à ma lettre sur
l'accompagnement d'un être aimé dans ses derniers instants, j'ai reçu de
nombreux remerciements de lecteurs qui ont traversé, ou traversent, cette
douloureuse épreuve. Et beaucoup me demandent maintenant des conseils sur ce
qu'il faut faire après la mort.
Ce sujet sort
complètement du domaine de Santé Nature Innovation. Et il est très délicat car
il dépend des circonstances du décès et des liens que l'on avait avec la
personne décédée.
De nombreuses
personnes nous ont alors dit que ce qui nous arrivait était « ce qu'il y a de
pire pour des parents ».
Mais ce n'est pas exactement ce que nous avons ressenti.
Pour nous, la disparition de Sandrine fut d'abord l'occasion de réaliser la
chance que nous avions eue de l'avoir. Bien sûr, nous aurions aimé qu'elle vive
plus longtemps. Bien sûr, chaque fois que nous pensons à elle, nos yeux se
mouillent de larmes. Mais douze ans de bonheur avec elle, cela nous a déjà paru
un don considérable. Nous repensons tout le temps à la joie que nous avons
éprouvée à sa naissance, lorsqu'elle nous fit son premier sourire, lors de sa
première rentrée, et des innombrables moments de bonheur qu'elle nous a
apportés. Tout cela, rien, ni la mort, ne pourra jamais nous l'enlever. -
Habits noirs
On nous dit aujourd'hui que chacun doit faire son deuil
selon ses envies, ses croyances. Mais depuis la nuit des temps, les hommes
accomplissent certains rites lorsqu'ils perdent un proche. Les origines de ces
rites nous sont inconnues. Cela veut-il dire qu'ils sont inutiles, qu'on peut
les changer comme on veut, ou même s'en passer complètement ? Ce n'est pas ce
que nous avons ressenti.
Les rituels
mortuaires n'ont pas seulement une signification religieuse ou psychologique,
ils ont également une signification sociale. Ils aident à s'identifier
soi-même, et aux yeux des autres, comme étant en deuil. - Condoléances
La seconde chose importante est les condoléances. Là,
évidemment, vous ne pouvez rien faire puisque ce sont les autres qui se
manifestent. Mais ce point est vraiment capital.
Avant la mort de
Sandrine, j'avais toujours hésité à présenter mes condoléances à une personne
éloignée, craignant de ne pas paraître assez sincère. J'hésitais à déranger les
personnes en deuil par des visites ou des appels intempestifs. Graves, très
graves erreurs !! Après le décès, vous avez énormément besoin de présence, de
réconfort, d'affection, d'aide et donc de… condoléances.
Je dirais même que,
plus la personne est éloignée, plus les condoléances vous touchent, car il est
moins évident, et donc moins attendu, qu'une lointaine connaissance se
manifeste dans ces circonstances que vos proches parents.
Dans les minutes et
heures qui suivent le décès, vous avez besoin que l'on vienne physiquement près
de vous, même si vous avez l'impression de vouloir rester seul. L'arrivée de
personnes est en effet une façon de reconnaître officiellement l'importance et
la gravité de l'événement. On ne se déplace pas, on ne va pas chez les gens
sans une bonne raison.
C'est pourquoi je me
permets de vous donner le conseil suivant : la prochaine fois qu'une personne
de votre entourage perd quelqu'un, rendez vous chez elle immédiatement,
apportez un repas, surtout s'il y a des enfants dans la maison, car les parents
auront certainement oublié de préparer à manger ou d'aller faire les courses.
Si vous ne pouvez pas vous rendre sur place, manifestez-vous par tous moyens :
téléphonez, écrivez, envoyez SMS, courriers électroniques, fleurs, tout ce que
vous pouvez, et plusieurs fois si possible. Invitez les personnes en deuil chez
vous, occupez vous d'elles, écoutez-les parler. Peu importe que vous n'ayez
rien à dire, ou que vous ne disiez que des banalités. Parler de la mort est
vraiment difficile, il n'y a pas toujours grand-chose à dire, et vous pouvez
parfaitement rester silencieux. L'important est que vous soyez là.
Dans notre cas, ces
visites, appels, messages et invitations nous ont prodigieusement aidés, y
compris les plus formels. Ce fut comme une grue qui nous attrapait par le col
et nous tirait de l'abîme qui venait de s'ouvrir sous nos pieds.
- Veillée mortuaire
Autrefois, on veillait les morts pendant toute la nuit
précédant la mise en bière (fermeture du cercueil). Le défunt était dans le
cercueil ouvert, posé sur des tréteaux dans une pièce de la maison, éclairé par
des bougies. La porte de la maison restait ouverte, entourée d'un voile violet,
et toutes les personnes qui le souhaitaient pouvaient venir se recueillir près
de lui, y compris les enfants, les voisins et même les passants. Cette étape
était très importante car elle permettait d'apprivoiser l'idée que la personne
est morte, de s'habituer à cette présence si étrange et différente de la
personne que l'on avait connue vivante. Comme dans le cas des vêtements de
deuil, on se trompe quand on imagine qu'un tel rituel aggrave la tristesse.
C'est en fait le contraire qui se passe. Veiller son mort permet de s'apaiser,
de prendre conscience que la mort n'est pas menaçante, qu'elle ne détruit pas
la vie qui l'entoure, qu'il n'y a pas de raison d'en avoir peur.
Selon le Dr
Christophe Fauré, psychiatre et auteur de « Comment vivre le deuil au jour le
jour », voir le corps mort « permet l'intégration d'une réalité que tout en soi
refuse. La perte demande à être incarnée pour qu'on puisse l'accepter ».
Aujourd'hui, il n'est plus coutume de faire une veillée
mortuaire, et 80 % des décès se produisent à l'hôpital. Le corps est alors
aussitôt lavé et emporté à la morgue. Néanmoins, des efforts sont faits dans
beaucoup d'hôpitaux pour recréer un cadre où vous pouvez venir vous recueillir
longuement auprès du défunt, avant l'enterrement ou la crémation. Il s'agit là
à mon avis d'une chose extrêmement importante pour ré-humaniser la mort, et
permettre aux personnes en deuil de traverser cette épreuve de façon moins
douloureuse.
- Obsèques
Une fois terminée la mise en bière, c'est la cérémonie des
obsèques. L'organisation dépend bien sûr des croyances de chacun. Mais notre
expérience nous a convaincus qu'il est essentiel de faire les choses avec le
plus de soin et de beauté possible. Contrairement encore une fois à ce que l'on
entend souvent, l'argent dépensé pour l'enterrement d'un être qu'on a beaucoup
aimé n'est pas perdu. Pour nous, êtres humains, les choses matérielles sont un
moyen essentiel d'exprimer notre amour. Et celui qui offre est souvent celui à
qui le cadeau fait le plus plaisir.
Il nous a semblé
évident, pour une enfant que nous avons tant aimée, de faire le plus magnifique
des enterrements, avec le plus de bougies, le plus de chants, le plus de fleurs
fraîches et éclatantes, le plus beau cortège, et la plus belle des sépultures,
choisie avec nos autres enfants. - Après les funérailles
Après les funérailles, inévitablement, les visites
s'espacent, les lettres se font plus rares. C'est une nouvelle phase, longue,
calme et douloureuse, qui s'ouvre. L'atmosphère du foyer n'est plus la même. On
s'habitue peu à peu à l'absence et l’on commence à bâtir une relation nouvelle
avec l'être aimé, une relation qui passe par l'esprit, la réflexion, la prière,
voire l'imagination, puisque partout où l'on est, on se demande ce qu'aurait
fait la personne si elle avait toujours été vivante.
Garder contact, par
exemple en portant certains vêtements du défunt, peut faire du bien. Cela peut
même être très important au début.
Toutefois, en cas de
crémation, le psychiatre Christophe Fauré recommande de ne pas conserver les
cendres chez soi. « Depuis les temps les plus anciens », explique-t-il, « les
sociétés humaines ont instinctivement compris que les lieux des morts devaient
être séparés des lieux des vivants : les cimetières étaient autrefois à
l'extérieur des villes. Ainsi, le fait de conserver une urne funéraire chez
soi, à l'intérieur, peut être un obstacle au déroulement harmonieux du deuil
(…) Le processus de deuil a pour objectif de créer un lien intérieur avec la
personne disparue, de devenir conscient qu'elle n'existe plus dans le monde
extérieur. » (1)-
Faut-il parler du mort ?
Quand on rencontre une personne en deuil, on hésite toujours
à lui parler du défunt. Par pudeur, pour éviter de "réveiller des
souffrances", on croit qu'il est plus prudent de contourner le sujet, de
parler d'autre chose. On imagine ainsi qu'on va distraire la personne en deuil,
lui donner l'occasion de penser à autre chose, d'oublier, de s'évader pour un
moment !
Quelle erreur encore
une fois. Lorsque vous êtes en deuil, le défunt occupe votre esprit en
permanence et, lorsque vous rencontrez quelqu'un, vous continuez à y penser.
Forcément vous avez envie d'en parler et qu'on vous en parle : évoquer des
souvenirs, revenir sur les circonstances de sa mort, sur les moments qui ont
suivi… Plus important encore, lorsque vous re-voyez des personnes qui ont bien
connu l'être que vous avez perdu, vous espérez qu'elles vont évoquer un
souvenir que vous aviez oublié, une aventure ou même une simple anecdote sur
lui que vous ignoriez. N'hésitez donc pas une seconde à le faire.
- Réparation
Il arrive dans certains cas que l'on éprouve de graves
remords vis-à-vis de la personne défunte, des regrets qui empêchent de retrouver
la sérénité. Dans ce cas-là, selon le psychiatre Christophe Fauré : « Il est
possible de mettre ses regrets ou ses remords par écrit, peut-être par le biais
d'une lettre destinée à la personne disparue. Si on souhaite aller plus loin,
il est utile de lire la lettre à d'autres car la portée de cette démarche
symbolique de réparation sera d'autant plus forte que l'on prend autrui à
témoin. » (2)
- Souffrance
Surtout ne vous inquiétez pas de souffrir, ne croyez pas que
vous êtes « malade » parce que vous avez mal. Au contraire, plus la douleur
s'exprime, plus cela montre que le travail de deuil est en marche, et que vous
progressez dans votre itinéraire pour réapprendre à vivre d'une nouvelle façon.
Il existe en revanche des cas pathologiques qui, eux, sont inquiétants parce
que la personne en deuil reste dans le déni pour éviter d'être confrontée à des
émotions trop douloureuses. Ses sentiments sont « anesthésiés », mais cela ne
veut pas dire qu'ils ont été dépassés.
La réaction de déni
est naturelle et peut même être souhaitable, dans un premier temps, quand le
choc est trop grand. Mais elle ne doit pas s'installer durant des mois ou des
années, sous peine d'empêcher la personne de trouver un nouvel équilibre. Dans
ce cas, une aide psychologique peut être nécessaire.
- Méfiez-vous de votre jugement
Quelles que soient les démarches que l'on entreprend, il est
évident que le deuil fragilise énormément et il faudra, dans la mesure du
possible, éviter de prendre toute décision majeure durant les premiers mois qui
suivent le décès (déménagement, changement de carrière professionnelle,
divorce…).
« Ne pas se lamenter de l'avoir perdue, rendre grâce de
l'avoir reçue »
Concluons en rappelant que rien de ce que nous possédons sur
la Terre ne nous revenait de droit, dès le départ. Tout ce que nous avons, y
compris notre plus grand amour, notre conjoint, notre meilleur ami, nos
enfants, nous aurions tout aussi bien pu ne jamais l'avoir.
« Ne pas se lamenter de l'avoir perdue ; rendre grâce de
l'avoir reçue. » Ces paroles, chaque jour, nous ont aidés à apaiser peu à peu
notre tristesse, pour laisser Sandrine s'en aller, dans la paix.
Jean-Marc Dupuis
Retrouvez mes meilleures chroniques dans L' Intégrale Santé Naturelle (J.-M. Dupuis, 2013, SNI éditions, 384 p.) disponible ici (lien cliquable). Tous mes droits d'auteur seront reversés à l' Institut pour la
Protection de la Santé Naturelle, association sans but lucratif qui défend le
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