Pourquoi l’Uruguay légalise le cannabis


 Je suis non fumeur depuis toujours, et pourtant quand j'ai fait mon service militaire obligatoire, nous avions un engagé qui fumait du hasch, bon sang que cela sentait bon...A l'époque ce cannabis là était concentré à 5%, aujourd'hui il est concentré à 30%, c'est un OGM, rien à voir avec les fumettes de nos ministres lors de leurs jeunes années à l'ENA...
Alors légaliser le cannabis est ce une bonne décision pour la santé de nos concitoyens?
Aussi la France n'est pas l'Uruguay et lorsque que j'ai vu que ce pays légalisait le cannabis, je n'ai pas compris. 
En fait c'est futé, lisez bien ce qui suit. 
C.R.

Pourquoi l’Uruguay légalise le cannabis


Le 23 décembre dernier, le président uruguayen José Mujica a approuvé un projet de loi visant à créer un marché réglementé du cannabis. Il devient ainsi le premier chef d’Etat à autoriser la production et la vente — dans un réseau de pharmacies — d’une drogue interdite ailleurs.
par Johann Hari, février 2014 
Au Mexique, les portraits de personnes disparues tapissent les murs à la manière d’une colossale campagne publicitaire ourdie par un marchand d’hommes. Selon l’organisation Human Rights Watch, plus de soixante mille Mexicains ont perdu la vie dans la « guerre contre la drogue » lancée en 2006 par l’ancien président Felipe Calderón. Ce bain de sang s’alimente à deux sources croisées : d’une part, les Etats-Unis charrient de l’argent et des armes de l’autre côté du Rio Grande pour réprimer le trafic de stupéfiants ; de l’autre, les cartels se disputent le contrôle des circuits de livraison. Comme le dit l’écrivain Charles Bowden, la guerre contre la drogue se conjugue à la guerre pour la drogue. Toutes deux sont pareillement mortelles.



Jusqu’à une date récente, un certain fatalisme dominait, inspiré par le constat que la sauvagerie ne pouvait être stoppée, seulement déplacée. Mais, depuis deux ans, des dirigeants d’Amérique latine, parmi lesquels le président colombien Juan Manuel Santos, envisagent publiquement de rompre avec le dogme répressif et de mettre en œuvre une politique différente — la seule, assurent-ils, qui soit en mesure d’éradiquer le marché de la drogue. C’est cette voie qu’est en train de prendre l’Uruguay. Son président, M. José Mujica est un dirigeant atypique. Membre de la guérilla des Tupamaros dans les années 1970, il est resté emprisonné au fond d’un puits durant deux ans et demi. Après son élection, en novembre 2009, il a dédaigné les dorures du palais présidentiel pour rester dans la petite maison au toit de tôle qu’il occupe dans un quartier populaire de Montevideo. Il reverse 87 % de son salaire de chef d’Etat à des organismes d’aide au logement social et prend volontiers le bus pour se rendre à ses rendez-vous.

Aux origines de la violence

En juillet 2013, les députés de sa coalition ont fait adopter une loi autorisant la culture du cannabis sur le territoire national et sa vente aux adultes. Les amateurs peuvent désormais se procurer leur herbe préférée en pharmacie, dans la limite de quarante grammes par mois, ou la cultiver eux-mêmes, à raison de six plants par foyer. C’est la première fois qu’un pays déroge frontalement aux traités de l’Organisation des Nations unies (ONU) prohibant l’usage du cannabis.

« Cela fait plus de cent ans que, d’une façon ou d’une autre, nous menons des politiques répressives sur la question des drogues, nous explique M. Mujica. Et, après cent ans, nous avons conclu qu’elles se sont soldées par un incontestable échec. » Son ministre de la défense, M. Eleutorio Huidobro — un autre ex-Tupamaro, lui aussi détenu durant plusieurs années au fond d’un puits —, nous résume la prise de conscience qui a poussé son pays à franchir ce pas historique : « Si nous ne faisons pas cela maintenant, ce qui est arrivé au Mexique finira par se produire chez nous. Et nous serons dans de sales draps. » L’Uruguay se situe en effet sur l’une des principales routes continentales de la drogue, empruntée par la cocaïne bolivienne et par le cannabis paraguayen avant leur acheminement vers l’Europe. Selon le député Sebastián Sabini, un homicide sur trois commis dans le pays est lié au commerce des stupéfiants.
C’est la politique prohibitionniste, insiste M. Huidobro, qui a créé le narcotrafic et la violence qui en découle : « En refusant de légaliser la marijuana, on ne fait que remettre les bénéfices de ce marché entre les mains des criminels et transformer les trafiquants en une institution surpuissante. » Dans une économie illégale, les litiges ne se règlent pas devant les tribunaux, mais par la terreur. De même que la prohibition de l’alcool a enfanté Al Capone et le massacre de la Saint-Valentin, le gang des Zetas et le carnage sans fin qui endeuille le nord du Mexique sont les fruits naturels de la prohibition des stupéfiants. « La guerre des Etats-Unis contre la drogue fait plus de dégâts que la marijuana elle-même, estime M. Huidobro. Elle cause infiniment plus de victimes, provoque infiniment plus d’instabilité. Elle pose à la planète un problème bien plus grave que n’importe quelle drogue. Le remède est pire que le mal. »



Le gouvernement de M. Mujica considère l’éradication du commerce de la drogue comme un vœu pieux. Le slogan de l’ONU — « Un monde sans drogue. Nous pouvons le faire ! » — lui paraît d’une absurdité confondante. Le secrétaire général de la présidence, M. Diego Cánepa, fait valoir que l’altération chimique de la conscience répond à un désir consubstantiel à l’espèce humaine qui s’est manifesté dans toutes les sociétés connues.

Envoyer la troupe a pour seul effet de déplacer le trafic de quelques centaines de kilomètres. Les spécialistes appellent cela l’« effet ballon » : quand vous enfoncez le doigt dans un sac plein d’air, sa circonférence augmente sous l’effet de la pression. Les sites de production attaqués en Colombie ont fait leur réapparition en Bolivie, les réseaux démantelés dans les Caraïbes se sont reconstitués au Mexique, etc. On peut au mieux repousser le problème, pas le supprimer.
Partant de ce constat, M. Mujica en a conclu que « puisque le marché existe déjà, il faut le réguler, le sortir de l’ombre pour en priver les trafiquants ». Aux Etats-Unis, la légalisation de l’alcool en 1933 avait mis fin au trafic de tord-boyaux et aux assassinats entre concurrents. Le brasseur Budweiser n’est pas un philanthrope, mais au moins ne défend-il pas ses parts de marché en liquidant les employés de Guinness. De la même façon, la légalisation du cannabis — et sa commercialisation dans des boutiques détenant une licence — ôte le pain de la bouche au crime organisé. En outre, les taxes prélevées peuvent servir à financer des centres de soins pour toxicomanes et des programmes de prévention contre la consommation de stupéfiants.

Des joints au milieu des sucettes

Les adeptes sud-américains de la légalisation n’entendent nullement promouvoir les bienfaits du cannabis ni encourager sa consommation — le président Mujica n’a pas hésité à qualifier les usagers de drogues douces de nabos, un terme injurieux signifiant littéralement « navets ». Ils ont estimé qu’un joint n’était pas plus nocif qu’un verre d’alcool, et qu’il fallait donc s’en accommoder.

Les réformateurs uruguayens n’ignoraient pas qu’ils se heurteraient à l’indignation des prohibitionnistes. Depuis des décennies, ces derniers agitent le spectre d’une légalisation synonyme de chaos et de débauche, qui inviterait les enfants à se ruer chez le marchand de sucettes pour faire le plein de psychotropes. A quoi les Uruguayens rétorquent que le chaos, c’est ce que leur continent subit en ce moment même.



 Leur réforme vise à l’exact opposé :
 reprendre le contrôle du marché pour pouvoir le maîtriser. Selon eux, les adolescents en seront les principaux bénéficiaires. La consommation régulière de cannabis chez les mineurs peut altérer leurs facultés mentales : il est donc vital de les en dissuader. Or les jeunes Américains préfèrent se procurer de la marijuana plutôt que de l’alcool, car un trafiquant demande rarement sa carte d’identité au client. Le pharmacien, en revanche, est plus enclin à respecter la loi, faute de quoi il risque de perdre sa licence.

Aux quatre coins du monde, nombre de législateurs et de policiers reconnaissent en privé les avantages de la légalisation. En Uruguay, ils le font à voix haute et agissent en conséquence. Pourquoi eux, pourquoi ici ? Pour quelles raisons les obstacles insurmontables ailleurs — inertie, crainte de l’opinion publique, peur de déplaire aux Etats-Unis sont-ils plus faciles à vaincre en Uruguay qu’ailleurs ?



Plusieurs facteurs se combinent. Le premier tient à la vigueur du mouvement antiprohibitionniste, attisée par une série d’injustices retentissantes. En avril 2011, par exemple, une enseignante de l’Académie militaire âgée de 66 ans, Mme Alicia Garcia, est arrêtée pour avoir fait pousser chez elle quelques plants de cannabis. Elle risque vingt mois de prison pour production illégale à usage commercial. Se tisse alors un vaste réseau de soutien, auquel les jeunes parlementaires du Mouvement de participation populaire (MPP), le parti de M. Mujica, s’associent en militant pour la légalisation.

Au même moment, l’autorité des Etats-Unis sur ce sujet se met à vaciller. Les Etats du Colorado et de Washington adoptent en 2013 une loi approuvée par référendum qui légalise l’usage, la production et la vente de marijuana. Les autorités américaines sont désormais moins bien placées pour morigéner ou punir les pays tentés d’en faire autant.



Enfin, la popularité et la détermination du président uruguayen ont joué un rôle capital. Quand on a survécu au fond d’un puits pendant des années, on est sans doute mieux armé pour résister aux pressions, intérieures comme extérieures.
Jusqu’à présent, M. Mujica et ses alliés ont toutefois échoué à rallier à leur cause la majorité de leurs compatriotes. Même si la légalisation suscite au fil du temps une adhésion croissante, elle recueille encore 60 % d’opinions défavorables dans les sondages. Les opposants font valoir trois objections. En premier lieu, l’effet d’aubaine : « Dès que vous légalisez une drogue, les gens en consomment davantage », nous affirme la députée Veronica Alonzo. L’argument paraît de bon sens ; il est pourtant contredit par les faits. Aux Pays-Bas, où la vente de cannabis dans les coffee shops est autorisée depuis 1976 (les autorités ayant renoncé à une légalisation formelle pour ne pas enfreindre trop ouvertement les traités de l’ONU), les consommateurs ne représentent que 5 % de la population, contre 6,3 % aux Etats-Unis et 7 % dans l’ensemble de l’Union européenne. Le spectre d’une ruée sur les pharmacies semble donc relever du fantasme.




 Pepe Mujica, le président de l’Uruguay et l’artisan de la dépénalisation totale de la production et de la vente du cannabis, en compagnie de Steven Tyler, du groupe Aerosmith. (Reuters)

Bientôt le tour de la cocaïne ?

La deuxième crainte est que la légalisation du cannabis incite les usagers à se reporter sur les drogues dures, en particulier la pasta base, un dérivé de la cocaïne comparable au crack qui fait des ravages dans les marges de la société uruguayenne. C’est la théorie dite de la « porte ouverte » : un petit vice conduit nécessairement à un vice plus grave. La Dre Raquel Peyraube, spécialiste du traitement des toxicomanes, n’y croit pas une seconde. Selon elle, c’est au contraire la prohibition qui, par le monopole qu’elle confère aux trafiquants, oriente les consommateurs de cannabis vers des produits autrement plus dangereux. « Au supermarché, vous achetez des choses dont vous n’avez pas besoin parce qu’on vous les met sous le nez ou qu’on vous les rend attrayantes, explique-t-elle. De la même manière, les trafiquants vont tenter de fourguer à leurs clients de la cocaïne ou d’autres substances. La prohibition fait le lit des drogues dures. » Une analyse confirmée par une récente étude de l’Open Society Foundations, le réseau de fondations créé par le milliardaire George Soros : elle établit que les Pays-Bas connaissent le taux de toxicomanes le plus faible d’Europe, précisément parce qu’ils ont privé le cannabis du voisinage des drogues dures.

La Dre Peyraube récuse également l’idée selon laquelle la légalisation provoquerait une hausse des cas de schizophrénie. S’il existait un lien entre la marijuana et l’apparition de cette maladie, dit-elle, le taux de schizophrènes aurait explosé au cours des dernières décennies, puisque nul ne conteste que la consommation de cannabis n’a cessé de croître dans de très nombreux pays ; or il est resté stable. Selon elle, il est possible en revanche que les schizophrènes consomment plus fréquemment du cannabis que la moyenne en raison de son effet relaxant, ce qui expliquerait la corrélation.

A ces critiques s’en ajoute une autre, plus sérieuse, qui ne laisse pas insensible l’administration uruguayenne. La légalisation du cannabis va certes réduire le marché des drogues illicites, mais elle laisse intact le commerce des produits les plus rentables. Pour ébranler vraiment le pouvoir des cartels, la cohérence imposerait d’aller plus loin et de réguler le circuit de toutes les drogues pour lesquelles il existe une forte demande. Pour certaines, comme l’ecstasy ou la cocaïne, cela supposerait d’encadrer la vente ; pour d’autres, comme l’héroïne, une distribution sur prescription médicale serait sans doute plus avisée, comme le suggèrent les expériences-pilotes menées en Suisse.

« Cela prendra du temps, reconnaît M. Sabini, l’homme du MPP qui s’est le plus engagé pour la réforme. Mais quand ce sera au tour des autres drogues, nous serons prêts pour plaider notre cause devant le public. » Celui que les observateurs considèrent comme le futur successeur du chef de l’Etat s’est déjà prononcé pour la légalisation de la cocaïne.

Existe-t-il encore une autre voie ? A quoi bon s’acharner à poursuivre ce que M. Huidobro appelle une guerre « déjà perdue » ? En attendant que les hommes politiques de son pays veuillent bien répondre, la Mexicaine Emma Veleta pleure la disparition de huit membres de sa famille, enlevés et séquestrés par des trafiquants avec la probable complicité des autorités locales.
Comme l’a observé David Simon, le créateur de la série télévisée The Wire, les Etats-Unis pourraient bien être tentés de mener leur guerre contre la drogue « jusqu’au dernier Mexicain ».

Johann Hari
Journaliste. 
 Le Monde diplomatique

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