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A Saint-Etienne, le procès des bonnes intentions d’un prêtre





PORTRAIT

A Saint-Etienne, malgré un arrêté municipal, ce curé à la retraite persiste à accueillir et aider des demandeurs d’asile.

Il parle cru, parfois même comme un charretier. La première fois où l’on a vu le père Gérard Riffard, c’était au mois de juin, devant le tribunal de police de Saint-Etienne (Loire). Il comparaissait pour avoir ignoré un arrêté municipal lui interdisant d’héberger des demandeurs d’asile dans la salle paroissiale de l’église de Montreynaud, quartier déshérité de la ville.
Silhouette frêle déformée par l’ostéoporose, cheveux blancs coupés au carré, fin visage, à la barre du tribunal, le père Riffard n’a pas cédé d’un pouce. Tout au long de l’audience, il a poliment mais fermement bataillé contre le magistrat et le représentant du parquet, qui l’accusaient de «cré(er) un appel d’air en faveur du puits sans fond qu’est l’immigration».

Pour l’entretien avec Libération, Gérard Riffard reçoit dans son appartement de l’église de Montreynaud. Bien que retraité, il y réside toujours. En face à face, l’ancien curé ne prend pas de précautions oratoires. Peut-être parce que cette violence verbale est l’exutoire de la colère que provoque en lui la politique française d’immigration. «Il y a des jours où j’en ai ras-le-bol.» Parfois, Gérard Riffard trouve bien lourde la tâche d’accueil et d’accompagnement des demandeurs d’asile qu’il s’est fixée. «Mon travail, c’est de garder ces personnes debout, explique-t-il. Si elles se mettent à désespérer, c’est foutu.» A la tête de l’association Anticyclone, qu’il a créée avec le soutien de l’évêque de Saint-Etienne, Gérard Riffard aide ces étrangers à constituer leur dossier de demande d’asile. Et les réponses le plus souvent négatives de l’Ofpra le mettent en rogne. «Actuellement, plusieurs dossiers solides sur lesquels on a travaillé ont été rejetés. C’est honteux.»

Gérard Riffard exprime aussi son «ras-le-bol» à un tout autre propos : son célibat de prêtre. Il confie : «J’ai fait ce choix et je dois m’y tenirIl y a des moments où je me dis que je pourrais avoir des gosses.» Il ajoute : «Mais quand je vois certaines vies de famille, je me dis aussi qu’ils ont des choses lourdes à porter.» Avant de devenir prêtre, a-t-il eu une vie sentimentale ? «Franchement, qu’est-ce que ça peut vous faire ?» tacle-t-il. «Mais comme je n’ai rien à cacher, sachez que je vivais pleinement ma jeunesse avec un groupe de copains et de copines très actifs dans la vie associative et celle de l’Eglise des années 60-70. Nos relations ont toujours été les plus simples possibles, les plus claires.»
«L’école, j’en avais rien à foutre.» Gérard Riffard n’a pas été un élève modèle. «Quand ça sonnait, j’étais le premier à sortir. Les seuls moments où je me sentais vivre, c’était avec mes copains.» Petit-fils d’un mineur et passementier, fils d’un militaire qui a fait la guerre d’Indochine mais a quitté l’armée avant d’être envoyé en Algérie et a fini «petit agent de maîtrise chez Casino», il est né à Saint-Genest-Lerpt, près de Saint-Etienne (Loire), et n’en a jamais bougé. «C’est ma région, je ne suis pas un grand voyageur», se justifie-t-il.
Son enfance a été «marquée par les valeurs chrétiennes». La foi, il l’a ressentie «au fond de lui, tout gosse». «C’est un don de Dieu qui grandit en vous de manière inconsciente jusqu’au jour où il s’impose», explique-t-il. Après le bac, il a fait un an de fac. «Je me suis souverainement emmerdé jusqu’au jour où j’ai trouvé ma voie et suis entré au séminaire.»

«Quand Benoît XVI a été élu, je me suis dit "merde, merde, merde".» Le curé de Montreynaud n’apprécie pas le pape allemand et le dit clairement. «Ratzinger, c’était tout ce qu’il ne fallait pas, un intellectuel, un penseur, un théologien, mais pas un pasteur.» Son prédécesseur, Jean Paul II, trop politique, n’était pas non plus sa tasse de thé. «Je n’ai jamais vibré pour lui.» Gérard Riffard se sent proche en revanche de François. «Avec lui, ça a changé extraordinairement. Il a des paroles fortes par rapport à ce que doit être l’Eglise. Il ose appeler un chat un chat, par exemple quand il relativise l’argent et le pouvoir. Il va à la rencontre des gens, il s’est rendu à Lampedusa [l’île italienne où échouent beaucoup de migrants, ndlr].»

Gérard Riffard s’assume «de gauche». Il a voté Hollande mais se dit «déçu». Sur les questions de société, cet ancien curé n’est pas un révolutionnaire. Il est plutôt favorable à l’ordination d’hommes mariés tout en signalant qu’il croit «beaucoup à la valeur de signe du célibat choisi», mais ne s’engage pas sur la question du ministère féminin. Par ailleurs, il considère que «le mariage, c’est l’union d’un homme et d’une femme qui construisent ensemble un projet de vie et de famille», et se dit «des plus réservés» sur l’adoption par les couples homosexuels, la PMA et la GPA.«C’est quelqu’un de discret, d’humble et qui n’aime pas faire de vagues. Mais c’est aussi quelqu’un qui ne plie pas», dit de lui Yves Scanu, le responsable local du Réseau Education sans frontières.

Avec Maurice Vincent, l’ancien maire PS de Saint-Etienne battu aux municipales par un UMP, Gérard Riffard a eu des relations compliquées. C’est cet édile qui a pris l’arrêté lui valant d’être traîné devant les tribunaux. «Gérard Riffard a toujours eu une position exclusivement morale, explique Maurice Vincent. Avec les préfets successifs, nous avons attiré son attention sur les problèmes constants de sécurité que posait son hébergement. Sans résultat. D’où l’arrêté.» «Il y a un conflit entre la loi et l’obligation de ne pas laisser des gens dehors en situation de danger, a rétorqué Gérard Riffard lors de son procès. Je suis bouffé par ce qui se passe.»

Si la plupart des réfugiés dorment dans la salle paroissiale, il en héberge aussi chez lui et en accueille à sa table. «On mange à six tous les soirs.» Quand il a «un petit moment de solitude», l’ancien curé «lave [s]on linge, essaie de repasser, donne un coup de balai». «J’ai un coin où j’ai mis des fleurs, je coupe l’herbe», ajoute-t-il. Grand lecteur de journaux - le Progrès, la Croix -, il a été un fidèle de Libération : «Un autre ton, dépaysant pour moi, mais il y avait aussi de profonds accords sur beaucoup de choses.» Pour le reste, sa santé ne lui permet plus de faire de sport et il n’a «pas le temps d’écouter de la musique et pas l’argent pour aller au cinéma».

Pour l’avenir, Gérard Riffard affecte de ne pas se faire trop de souci. Lors de son procès, le représentant du parquet a pourtant requis contre lui une amende de 50 euros pour chacun des 239 jours d’infraction constatés, soit 11 950 euros. Une somme que le prêtre aura du mal à acquitter avec ses 700 euros de retraite mensuelle. Le jugement a été renvoyé au 10 septembre. «Si je suis condamné, j’irai m’inscrire à Pôle Emploi ou je jouerai à l’Euromillion», plaisante-t-il. Pour autant, le vieux curé n’entend pas céder. Au sous-sol de son église, des travaux d’aménagement de douches et de sanitaires pour l’accueil des réfugiés sont en cours. Photo Sébastien Érome

En 5 dates

9 juillet 1944 Naissance à Saint-Genest-Lerpt (Loire). Juin 1973 Ordonné prêtre. 1994 Curé de la paroisse de la ZUP de Montreynaud. 2009 Nommé par l’évêque pour l’accompagnement des demandeurs d’asile avec Anticyclone. 11 juin 2014 Convoqué devant le tribunal de police pour avoir hébergé des demandeurs d’asile malgré l’interdiction de la mairie.
Catherine COROLLER

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