Le syndrome post-Trente Glorieuses
Marie-Christine Robin
Je poursuis donc ma série pour commenter l’intervention de François Hollande sur France Inter, lundi dernier.
Tout indique que le président Hollande
est gravement malade. D’après mes informations, il souffre d’une
pathologie très courante chez les hommes politiques de sa génération,
qui, – fait aggravant- ont fréquenté les bancs de l’ENA : le « syndrome post-Trente Glorieuses » (SPTG).
Dans mon livre Sacrée croissance ! , je décris les symptômes caractéristiques de cette maladie psychiatrique très invalidante qui finit par lobotomiser tous ceux qui en sont atteints, au point qu’ils n’arrivent plus à penser par eux-mêmes : troubles obsessionnels et tics de langage se traduisant par une propension incontrôlée à prononcer le mot « croissance » au moins une fois par minute lors d’interviews ou de discours.
Dans mon livre Sacrée croissance ! , je décris les symptômes caractéristiques de cette maladie psychiatrique très invalidante qui finit par lobotomiser tous ceux qui en sont atteints, au point qu’ils n’arrivent plus à penser par eux-mêmes : troubles obsessionnels et tics de langage se traduisant par une propension incontrôlée à prononcer le mot « croissance » au moins une fois par minute lors d’interviews ou de discours.
Lundi matin, lors du 7-9 de France Inter,
j’ai renoncé à compter le nombre de fois que le chef de l’État a
invoqué la formule magique. Mais, pas l’ombre d’un doute : il souffre du
SPTG. Ce syndrome est apparu après le premier choc pétrolier de 1973, qui a porté le coup de grâce à l’époque des Trente Glorieuses. Cette année-là, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) avait décidé de multiplier par quatre le prix du baril de pétrole
(entre octobre 1973 et janvier 1974). Ce choc ébranla toute l’économie
mondiale, en premier lieu en Europe occidentale et aux États-Unis, très
dépendants de l’or noir. De fait, avec la « crise du pétrole », l’âge d’or de la croissance était bel et bien révolu.
En France, elle affichait encore une
belle santé en 1973 (6,6 %), car le « choc » ne vint qu’après la fin de
l’année. En 1974, elle tombait à 4,7 %, le « choc » étant amorti par les
commandes industrielles passées par les monarchies du Golfe
soudainement richissimes. Puis, ce fut la descente aux enfers, ainsi que
je l’ai rappelé dans mon précédent billet.
Depuis, la classe politique – de droite,
comme de gauche- et les économistes orthodoxes (qui sont aussi les
conseillers du prince) gardent une nostalgie sans borne pour l’époque
bénie des Trente Glorieuses, laquelle ne fut pourtant pas si glorieuse
que le veut la légende car, comme me l’a expliqué l’économiste (pas
orthodoxe) Jean Gadrey, elle « marqua l’entrée dans l’ère de la démesure et du gaspillage » (j’y reviendrai).
L’expression « Trente Glorieuses » a été forgée par l’économiste Jean Fourastié (1910-1990), qui l’utilisa dans son livre Les Trente Glorieuses, ou la révolution invisible de 1946,
paru en 1979. Il s’est inspiré des « Trois Glorieuses », les trois
journées révolutionnaires des 27, 28 et 29 juillet 1830 qui avaient fait
chuter Charles X et porté Louis-Philippe sur le trône de la monarchie
constitutionnelle, mettant un terme aux quinze années de la
Restauration.
Jean Fourastié a choisi cette page de
l’histoire pour incarner les trente ans qui séparent la fin de la
Seconde Guerre mondiale et le premier choc pétrolier, en hommage au « progrès » que ces trois décennies sont censées avoir apporté : « Ne
doit-on pas dire glorieuses les trente années qui ont fait passer la
France de la vie végétative traditionnelle aux niveaux de vie et aux
genres de vie contemporains ? » écrit-il ainsi en fondant sa démonstration sur la comparaison de deux petits villages français, Madère (M) et Cessac (C),
que toutes les statistiques semblent opposer : pour une population
presque équivalente (534 pour M contre 670 pour C), la population active
est essentiellement agricole (74 %) dans le premier, minoritaire (24 %)
dans le second. Le nombre d’actifs est nettement inférieur (52 % contre
32 %) du fait de la scolarisation et de la retraite. Tout est
notablement différent : la natalité (4 % contre 2 %), la mortalité
infantile (9,5 % contre 1,4 %), les rendements de blé à l’hectare
(12 contre 35), de travailleurs à l’hectare (28 contre 8), d’animaux de
labour (100 contre 1) remplacés par des tracteurs (2 contre 40).
L’équipement des ménages contraste encore davantage : réfrigérateurs
(5 contre 210), machine à laver le linge (0 contre 180), WC intérieur
(10 contre 150), téléphone (5 contre 110), automobile (5 contre 280),
radio (50 contre 250).
Le clou de cette démonstration c’est que Madère et Cessac sont, en fait , le même village, Douelle en Quercy en 1949 et 1975 !
Personne ne contestera que pour beaucoup de Français et Françaises les « Trente Glorieuses » sont synonymes de « confort » et d ‘une « amélioration des conditions de vie matérielle ». D’ailleurs, quand on observe la courbe dite de « bien être subjectif » de la population, on constate que celle-ci a atteint son plus haut niveau au milieu des années 1970 (6,7 sur 10) pour ensuite stagner, alors que le PIB par habitant a continué à augmenter (+ 75% entre 1973 et 2012).
Dès 1974, l’économiste américain Richard Easterlin
a démontré qu’une augmentation du PIB n’implique pas nécessairement une
hausse du niveau de bien-être ressenti par les populations. Ce constat,
qualifié de « paradoxe d’Easterlin » par la science
économique, a été confirmé par de nombreuses études, qui conclurent
qu’au-delà d’un certain seuil de revenus – estimé à environ 12 000 euros
par an –, l’augmentation de la richesse matérielle d’un pays
s’accompagne d’un accroissement de plus en plus faible, voire nul, de la
satisfaction de la population.
Aux États-Unis, Derek Bok,
ancien président de l’université Harvard, a montré en 2010 qu’au cours
des trente-cinq années précédentes, le revenu par habitant a augmenté de
près de 60 %, tandis que le pourcentage d’Américains se déclarant
« très heureux » ou « parfaitement heureux » est pratiquement resté
stable[1].
Les experts ont noté le même découplage pour l’espérance de vie : alors que la croissance économique s’est accompagnée, dans le passé, d’une progression, elle n’est plus corrélée au PIB au-delà d’un seuil de revenus de 15 000 euros par an.
Certains pays, comme le Chili ou le Costa Rica, dont le PIB par
habitant est de deux à quatre fois inférieur à celui des États-Unis, ont
ainsi pratiquement la même espérance de vie. D’après l’Organisation
mondiale de la santé, l’espérance de vie à Cuba est même supérieure à
celle de la première puissance mondiale !
« Les modes de vie du modèle
productiviste, l’alimentation inadéquate et excessive, les pollutions
(chimiques, de l’air, de l’eau), les inégalités et les violences tendent
[…] à influer négativement sur la santé, surtout sur celle des
catégories les plus exposées, explique Jean Gadrey dans son livre Adieu à la croissance. Dans
les pays qui parviennent à le financer, le système de soins est alors
engagé dans une course poursuite de “réparation” de dégâts divers
produits par une économie et une société pathogènes[2]. »
Et le paradoxe du système croissanciste est que plus le coût des « réparations » est élevé, plus le PIB augmente ! Le
découplage s’observe aussi pour d’autres variables de développement
humain, comme l’éducation, la pauvreté, les délits ou la cohésion
sociale.
Finalement, l’ensemble de ces données prouve qu’on peut, dans tous ces domaines, atteindre les mêmes résultats avec nettement moins de richesses matérielles…
En résumé : L’époque des « Trente
glorieuses » constitue une parenthèse dans l’histoire de la France et
des pays occidentaux. Elle tient au contexte spécifique de
l’après-guerre, marquée par la reconstruction et la nécessité de couvrir
un certain nombre de besoins alors insatisfaits des populations. Elle tient aussi à l’abondance d’énergies fossiles bon marché
(pétrole et gaz), dont on pensait (à tort) que les ressources étaient
inépuisables. La croissance qui caractérise les « Trente Glorieuses »
fut donc exceptionnelle et ne reviendra jamais, car les conditions tout
aussi exceptionnelles qui l’ont permise ne seront plus jamais réunies,
notamment dans les pays dits « développés ». Tout indique même qu’il est
préférable qu’elle ne revienne jamais car les dégâts qu’elle entraîne
sont désormais supérieurs aux bienfaits…
Source: Sacrée croissance!, Editions La Découverte et ARTE Editions.
Je vous invite à écouter l’interview que m’a accordée Herman Daly, un économiste américain considéré comme le père de l’économie écologique, qui explique pourquoi la croissance est devenue “anti-économique”.
Prochain papier : L’addiction au pétrole[1] Derek Bok, The Politics of Happiness. What Government Can Learn from the New Research on Well-Being, Princeton University Press, Princeton, 2010.
[2] Jean Gadrey, Adieu à la croissance, p. 42.
Marie-Christine Robin
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