Main basse sur l’information!

Accélération de la concentration dans la presse quotidienne et audiovisuelle ; multiplication de faits de censure ; consanguinité de plus en plus accentuée et malsaine entre les milieux d’affaires et les médias ; verrouillage de l’information sur de nombreux médias audiovisuels, à commencer par l’audiovisuel public : la France vit une grave régression démocratique ! C'est presque le retour à la presse de l'avant-guerre, celle du Comité des forges.

 Pour la liberté et le pluralisme de la presse, et plus généralement pour la liberté et le pluralisme de l’information, ce sont décidément des jours très sombres que traverse la France. Accélération de la concentration dans la presse quotidienne et la presse audiovisuelle ; multiplication de faits de censure venant s’ajouter à des comportements très répandus d’autocensure ; consanguinité de plus en plus accentuée et malsaine entre les milieux d’affaires et les médias ; verrouillage de l’information sur de nombreux médias audiovisuels, à commencer par l’audiovisuel public… C’est peu dire que notre pays connaît une évolution qu’il faut bien qualifier pour ce qu'elle est : une grave régression démocratique !
Sous le précédent quinquennat, celui de Nicolas Sarkozy, ou dans les années juste antérieures, en prévision de l’alternance, le rachat de la plupart des grands quotidiens français par de richissimes amis du chef de l’État avait déjà fait grand bruit. Au fil des mois, on avait en effet assisté à une véritable boulimie d’acquisitions de la part de milliardaires dont la plupart n’avaient pas la presse pour métier, quand leurs activités ne dépendaient pas de la commande publique et qui pour beaucoup d’entre eux entretenaient des liens de forte proximité voire d’amitié avec le chef de l’État et qui faisaient partie des célèbres invités de la soirée du Fouquet’s.
Entrée au capital du Monde, en alliance avec les Espagnols de Prisa (l’éditeur d’El País), d’Arnaud Lagardère, qui s’est souvent présenté comme le « frère » de Nicolas Sarkozy ; rachat des Échos par Bernard Arnault, le témoin de mariage (avec Cécilia) du même Nicolas Sarkozy ; rachat du Figaro par Serge Dassault, sénateur UMP, et également ami proche du même Nicolas Sarkozy en lequel il voyait le fils qu’il aurait aimé avoir ; acquisition de Libération par le banquier Édouard de Rothschild, qui a souvent passé ses vacances à La Baule avec le même Nicolas Sarkozy : dès cette époque, ce mélange des genres, cette consanguinité avaient fait à juste titre scandale. On s’était pris alors à penser que la France, du Second Empire jusqu’à aujourd’hui, en passant par l’époque gaulliste, ne s’était décidément jamais départie de ses terribles travers : ceux d’un régime présidentialiste qui dispose d’une culture démocratique faible et méprise les contre-pouvoirs, à commencer par celui de la presse.
Et pourtant, il faut bien admettre que dans ce domaine de la liberté de l’information et du pluralisme – comme dans beaucoup d'autres ! –, l’alternance de 2012 n’en a pas été une. Et que la régression démocratique s’est encore accentuée. Sans doute n’y a-t-il plus de lien d’amitié visible entre le chef de l’État et les grands patrons qui ont fait main basse sur l’information. Mais c’est pourtant presque pire : la consanguinité entre les milieux d’argent et les grands médias s’est dramatiquement accentuée. Et le pluralisme en a d’autant reculé.
L’indice le plus récent de cette appropriation de la presse française, écrite et audiovisuelle, par une petite camarilla de milliardaires est l’empire immense que vient de se constituer en à peine quelques mois Patrick Drahi, le patron de Altice Media Group (AMG), la filiale domiciliée au Luxembourg du groupe d'Altice (SFR, Numericable). Que ce grand patron ait du talent pour construire un groupe gigantesque en jonglant avec les milliards, dans une folle politique d'endettement, voilà qui ne fait guère de doute – on peut lire à ce sujet la longue enquête de ma consœur Martine Orange, dont on trouvera les deux volets ici et . Mais que l'on puisse y voir la garantie d'un rebond de la presse libre et indépendante, c'est évidemment une tout autre affaire…



À la manière d’un Jules Mirès, le célèbre homme d’affaires du Second Empire, qui entre ses folles spéculations sur la bulle de l’époque, celle des chemins de fer, investissait à tout va dans la presse pour mieux consolider son influence et entretenir des relations de connivence avec le pouvoir (lire La presse dans le piège de la démocratie illibérale), Patrick Drahi a racheté à une vitesse éclair tout ce qui était à vendre. Il a d’abord mis la main sur Libération, le journal créé en 1973 par Jean-Paul Sartre et Serge July. Cela a ensuite été le tour du groupe L’Express, fondé en 1953 par Françoise Giroud et Jean-Jacques Servan-Schreiber, c’est-à-dire l’hebdomadaire éponyme et une ribambelle d’autres titres parmi lesquels L’Étudiant ou encore L’Expansion
Et puis, pour finir, fin juillet, il y a eu l’accord avec Alain Weill, au terme duquel Patrick Drahi va progressivement prendre le contrôle du groupe NextRadioTV, c’est-à-dire, là encore, d’un portefeuille considérable de chaînes et d’antennes, parmi lesquelles BFM-TV, BFM-Business ou encore RMC (lire Alain Weill ouvre les portes de NextRadioTV au milliardaire Patrick Drahi).
Cette opération de concentration est l’aboutissement d’une longue histoire. Et le capitalisme de connivence à la française avait déjà abîmé beaucoup de ces titres, avant même que Patrick Drahi ne s’en empare. Épuisé par de longues années de crise et tout autant de plans sociaux qui ont vu des générations entières de journalistes expérimentés quitter le navire, le Libération d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec le Libération d’hier qui était la propriété de la société des journalistes (la SCPL), système de gouvernance inspiré de celui du Monde, qui garantissait son indépendance. De même, L’Express d’aujourd’hui, avec ses couvertures « Spécial immobilier » ou « Classement des hôpitaux » – voire pire, ses couvertures machistes (« Ces femmes qui lui gâchent la vie ») ou carrément xénophobes (« Le vrai coût de l’immigration ») – n’a plus grand-chose à voir, et depuis bien longtemps, avec la publication dans laquelle écrivaient Albert Camus ou Jean-Paul Sartre, et qui fut parmi les premiers journaux, avec Combat, à dénoncer la torture en Algérie.
Dans le rachat par Patrick Drahi de tous ces titres, qui ont chacun une histoire longue en même temps qu’une relation passionnée depuis longtemps avec leurs lecteurs, il y a comme un aboutissement. C’est une triste fin de cycle !

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